2.B. Interprétation des classes

Le sens relatif des quantificateurs ouverts

Lorsque l'univers des ensembles s'étend, les valeurs des énoncés décidables (par les axiomes donnés) doivent bien sûr rester constantes. Mais tout énoncé indécidable, ainsi que toute autre formule contenant des quantificateurs ouverts et donnée avec des valeurs fixes de ses variables libres (appelons les des «formules ouvertes»), peut changer de valeur d'un univers à l'autre.
Or si la valeur d'une formule ouverte ne peut être que celle «courante» relative au choix de cet univers, la question de sa constance ou variabilité, autrement dit ce qui se passe «ailleurs», est relative à un choix de multivers. Mais la vision réaliste de la théorie des ensembles vise à ne supposer ni un univers fixe ni un multivers fixe. Ainsi, sa manière naturelle est de s'abstenir de donner une quelconque valeur aux formules ouvertes (au-delà des énoncés décidables avec preuve ou réfutation connue). En effet, il serait assez désespéré d'essayer de faire mieux du fait du flou de la situation. Passons en revue ses divers aspects.
Dans un multivers de «tous les univers» (standard ou non) satisfaisant une théorie axiomatique des ensembles cohérente donnée, la situation a été expliquée en partie 1: La vision réaliste se réfèrant aux univers standard, conduit à un autre désordre, d'abord par manque de définition formelle du concept d'univers idéalement standard.
Essayant de matérialiser le concept de «réelle indéfinition» des énoncés comme leur variabilité dans un multivers standard M, le comportement de ce M est essentiellement déterminé par son union U, car M est le domaine de tous les petits sous-univers de U; cela permet d'exprimer les questions pertinentes comme des énoncés dans U.

Par exemple, la variabilité dans M d'un énoncé existentiel (∃x, A(x) pour une formule bornée A), signifie l'existence dans M d'un univers U où il est faux (∀xU, ¬A(x)), et un autre univers U' où il est vrai (∃xU', A(x)). Mais il est alors également vrai dans tout univers standard contenant à la fois U et U', parmi lesquels d'autres membres de M, et U lui-même. Un tel énoncé peut être qualifié d'«ultimement vrai».

Mais comme certains énoncés peuvent varier entre univers standard acceptables U, certains d'entre eux peuvent encore varier entre les U des multivers standard acceptables. En effet, U est juste un autre univers qui peut être décrit axiomatiquement, mais seulement incomplètement, à la fois pour des raisons formelles (théorème d'incomplétude) et réalistes (il n'y a pas de multivers standard ultime). On peut seulement rendre décidables plus d'énoncés pour U que pour U, en décrivant U par une théorie T plus forte que la théorie T qui était donnée pour décrire U.
On obtient déjà un tel T plus fort en formalisant cette description de U comme union d'un multivers quasi-standard dont les membres satisfont T (tandis que la standardité de U échappe à la formalisation).
Derrière l'indécidabilité d'un énoncé (existentiel ou autre), plusieurs situations peuvent se produire. Il pourrait (je suppose) être toujours vrai dans un multivers quasi-standard, et toujours faux dans un autre, tandis que, dépendant de l'énoncé, l'un ou l'autre (mais pas les deux) peut être standard. Il peut varier ou non entre les univers standard, mais cette variabilité, elle-même exprimable comme un énoncé dans l'union d'un multivers standard, peut être elle-même indécidable, et éventuellement varier entre les multivers standards.

L'indécidabilité de certains énoncés tels que AC, reflète généralement la variabilité, pouvant aussi se produire entre univers (ST')- standard, des valeurs des quantificateurs ouverts utilisés dans ces énoncés lorsqu'ils sont réécrits sans ℘. En particulier, un quantificateur ∀x∈℘(E) apparaît comme un quantificateur ouvert sur la classe des parties de E, tandis que d'autres usages de ℘ soit utilisent également cela une fois traduits, soit sont même intraduisibles lorsque l'axiome de l'ensemble des parties ne tient pas.

L'indéfinition des classes

Contrairement aux objets qui peuvent être comparés dans les formules par le symbole =, la méta-relation d'égalité entre classes est aussi indéfinie que le ∀ ouvert, les deux concepts étant définissables l'un par l'autre: Cette indétermination peut être comprise en se rappelant que, bien qu'utilisables comme domaines, les classes ne sont que des méta-objets, donnés à la base comme prédicats, donc synctactiquement (comme une formule avec paramètres). Comme avec les quantificateurs ouverts, cela ne laisse que les deux concepts d'égalité prouvable (ou prouvée) et d'inégalité prouvable, suivant le statut (prouvable ou réfutable) de cet énoncé d'égalité entre classes (∀x, A(x) ⇔ B(x)).

Chaque univers U interprète chaque classe C comme méta-ensemble d'objets P = {xU | C(x)}, et ainsi la voit comme un ensemble lorsque PU. Cette condition s'exprime en théorie des ensembles dans U comme un énoncé S(C), qui s'écrit de façon équivalente

P, ∀x, C(x) ⇔ xP
E, ∀x, C(x) ⇒ xE

Cette équivalence vient du fait qu'un tel E permet de définir P par P = {xE | C(x)}.
Ayant deux quantificateurs ouverts, il est "plus indéfini" que l'égalité entre classes.

Classes dans un univers en expansion

En dehors de cette formulation S(C) dans un univers fixe, analysons cette distinction des ensembles parmi les classes (et donc ce qui rend les autres classes indéfinies), dans la perspective d'un multivers quasi-standard. Là, ce concept a 3 versions possibles, ordonnées seulement approximativement par des implications qui "marchent souvent" mais ont des exceptions. Mais le sens réaliste ultime de la théorie des ensembles est de se référer au domaine de «tous les univers standard», qui diffère du concept de multivers standard en ce que ce domaine n'est pas un ensemble mais une classe. Ainsi, le concept d'union ne peut pas s'appliquer à ce domaine, et pourtant son résultat impossible formerait l'interprétation idéale de la théorie des ensembles. Cet idéal peut être bien approché par des interprétations de la théorie des ensembles soit par des univers fixes, soit par des multivers quasi-standard (dont l'existence est assurée par le théorème de complétude). Les 2 perspectives, en termes d'un univers fixe ou variable, se transcendent alternativement l'une l'autre indéfiniment au cours de son expansion.

Cela explique comment toute théorie des ensembles voulue peut être formalisée par de simples axiomes du premier ordre: si une propriété voulue de l'univers n'était exprimable que par un énoncé du second ordre, ou si de quelconque façon son expression utilisait des objets externes (considérant cet univers comme un ensemble), alors on pourrait la ré-exprimer en déplaçant le cadre, comme l'axiome de premier ordre plus fort de l'existence d'un sous-univers de ce genre, et pourquoi pas aussi une infinité de ceux-ci, formant un multivers standard (affirmant que chaque objet est contenu dans un tel sous-univers).

Justification du principe de génération des ensembles

Soit B un quantificateur défini par une formule bornée dont les paramètres prennent des valeurs dans un sous-univers U de tout autre univers dans lequel nous pourrions travailler. Soit E le domaine de toutes les valeurs prises par l'argument y de A lors de l'interprétation de (By, A(y)). Il est indépendant de A et inclus dans U dans la mesure où A est absent de toute expression de y dans la formule de définition. Des exceptions typiques seraient lorsque B utilise une formule de la forme A(t({xF|A(x)})) pour un quelconque terme t, auquel cas définir E comme l'ensemble des valeurs possibles de y nécessiterait d'admettre ℘ et que U soit (ST")-standard. Sans ces hypothèses, ces formules exceptionnelles doivent être exclues des définitions de B pour que les justifications fonctionnent. De toute façon, elles sont exclues en considérant, comme expliqué en 2.A-2.B, le symbole de compréhension comme notation pour des symboles d'opérateur formant une liste infinie, un pour chaque formule utilisant le langage de la théorie des ensembles auquel A n'appartient pas. (Le symbole de compréhension est nécessaire pour mettre une formule à l'intérieur d'un terme, sauf si l'opérateur conditionnel est accepté comme primitif, ce qui est acceptable, mais alors, les définisseurs de fonction utilisant A par l'opérateur conditionnel sont exclus pour la même raison)

Soit C(x) défini par (By, y = x). Par l'hypothèse du principe de génération des ensembles pour le B qui était écrit Q*, on a une preuve de (B ⇔ ∃C). Cela implique ¬(By, 0), et, venant par introduction universelle du second ordre, reste valable dans tout univers où il est interprété.

Pour tout x, la valeur C(x) de B sur le prédicat (y ↦ (y = x)), ne peut différer (par vrai) de sa valeur (faux) sur (y ↦ 0), que si les deux prédicats diffèrent dans E, donc si x appartient à E:

C(x) ⇔ ((By, y = x) ⇎ (By, 0)) ⇒ (∃yE, y = x ⇎ 0) ⇔ xE

Cette inclusion de C dans E montre que c'est essentiellement un ensemble: Pour toute classe satisfaisant la condition du principe de génération des ensembles (étant indirectement aussi utilisable qu'un ensemble dans le rôle de domaine de quantificateurs), est-elle aussi indirectement aussi utilisable qu'un ensemble comme domaine de fonctions (avant d'utiliser ce principe)? A savoir, existe-t-il pour chacune de ces classes une formalisation fixe (formules bornées de complexité limitée) jouant les rôles de définisseur et d'évaluateur de fonctions ayant une telle classe comme domaine ? La réponse est oui mais nous n'en détaillerons pas les justifications ici.

Exemples concrets

Un ensemble: Reste-t-il un dodo sur l'île Maurice ? Cette île étant bien connue et régulièrement visitée depuis leur disparition supposée, des dodos survivants n'auraient pas pu passer inaperçus, où qu'ils puissent se cacher. N'en ayant pas trouvé, on peut conclure qu'il n'y en a plus. La question étant exprimée par un quantificateur borné, a un sens pratique et une réponse observable.

Un ensemble ressemblant à une classe: Bertrand Russell a ainsi critiqué la théologie: «Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire [puisque] la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j'affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé.»
Cette question est claire mais portant sur un espace trop grand, sa réponse est pratiquement inaccessible. (Un télescope de 8 m a un pouvoir de résolution de 0,1 seconde d'arc, soit environ 200 m sur la surface de la Lune).

Une classe: l'énoncé étendu, «il existe une théière orbitant une étoile dans l'univers» perd tout sens: non seulement on ignore la taille de l'univers, mais la théorie de la relativité considère les évènements éloignés dont nous n'avons pas encore reçu de lumière, comme n'ayant pas encore eu lieu non plus pour nous.

Un méta-objet: Comment Dieu pourrait-il «exister», s'il est un méta-objet tandis que l'existence ne peut qualifier que des objets ? Les apologistes concevaient-ils correctement leur propre thèse ? Mais quels sont donc les objets de leur foi et de leur adoration ? Chaque monothéisme accuse justement chaque autre de n'adorer que des objets (péché d’idolâtrie): des livres, histoires, croyances, enseignements, idées, attitudes, sentiments, lieux, évènements, miracles, guérisons, erreurs, souffrances, maladies, accidents, catastrophes naturelles (déclarées volonté de Dieu), guère plus subtils que les antiques statues, sans en vérifier sérieusement (par crainte de Dieu) les indices de leur supposée divinité.

Un évènement universel: le sacrifice rédempteur du Fils de Dieu. Il reste à préciser s'il aurait été théologiquement équivalent qu'il eut lieu non sur Terre mais dans une autre galaxie ou dans les plans de Dieu pour la Terre de l'an 3456.

Autre ensemble réduit à une classe... la classe F des filles reste incomplètement représentée par des ensembles: l'ensemble de celles présentes tel jour en tel lieu, celles utilisant tel site de rencontres et dont les paramètres satisfont tels ou tels critères, etc. Définissons dedans les prédicats B de beauté à mon gout et C de possibilité d'une relation avec moi. Quand j'essaie d'expliquer que «il m'est difficile de trouver une fille qui me plait (et elles sont souvent indisponibles)», à savoir

(∀Fx, C(x) ⇒ B(x)) ∧ {xF | B(x)}≈⌀,

la réaction fréquente est: «Crois-tu donc que la beauté est la seule chose qui compte ?», autrement dit

Quoi,(∀xF, C(x) ⇔ B(x)) ????

puis «Si tu trouves une fille jolie mais bête ou de mauvais caractère, que feras-tu ?», formellement (∃xF, B(x) ⇏ C(x) !!!).
Et de conclure par un énoncé de pure bonté: «Je suis sûr(e) que tu trouveras», autrement dit : «∃ beaucoup de x dans F tels que C(x)». Sans oublier la condition nécessaire pour y parvenir: «Tu dois changer de manière de penser».

...par l'absence de Dieu...: F se serait directement réduit à un ensemble par l'existence d'un humain capable d'entendre la volonté de Dieu, qui aurait évidemment saisi cette opportunité pour lui faire m'envoyer par email l'adresse de ma future femme (ou réciproquement).

...et de tout substitut: un système d'annonce de rencontres en ligne gratuit, ouvert et performant, comme serait inclus dans mon projet trust-forum.net, aurait pu remplir la même fonction. Mais il faudrait pour cela trouver des programmeurs prêts à l'implémenter. Or la classe des programmeurs n'est pas non plus un ensemble, surtout que la motivation du projet irait à l'encontre de la priorité morale religieuse qui se consacre à protéger Dieu de toute compétition afin de lui garantir son salaire de louanges.


Théorie des ensembles et fondements des mathématiques
1. Premiers fondements des mathématiques
2. Théorie des ensembles
2.1. Premiers axiomes de théorie des ensembles
2.2. Principe de génération des ensembles
2.3. Curryfication et uplets
2.4. Quantificateurs d'unicité
2.5. Familles, opérateurs booléens sur les ensembles
2.6. Graphes
2.7. Produits et ensembles des parties
2.8. Injections, bijections
2.9. Propriétés des relations binaires
2.10. Axiome du choix
2.A. Temps en théorie des ensembles
2.B. Interprétation des classes
2.C. Concepts de vérité en mathématiques
3. Algebra - 4. Arithmetic - 5. Second-order foundations

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EN : 1. First foundations of mathematics : Interpretation of classes