2.C. Concepts de vérité en mathématiques

Rappelons et développons les différents concepts de «vérité» que nous avons vus pour les énoncés mathématiques, du plus simple au plus subtil.

Le plus simple était la vérité vérité relative (analysée plus en détail en 1.B), à savoir la valeur booléenne de tout énoncé exprimé dans une théorie donnée, en fonction du système (modèle de la théorie) où il est interprété; ce système est supposé fixé comme une variable libre implicite. Plus généralement, toute formule prend une valeur booléenne pour chaque donnée de valeurs fixes de ses variables libres dans ce système.

Vient ensuite la prouvabilité dans chaque théorie axiomatique du premier ordre donnée; cela coïncide avec la qualité d'être relativement vrai dans tous ses modèles.

Enfin, viennent les vérités dans deux théories réalistes: l'arithmétique et la théorie des ensembles. Examinons-les plus en détails.

Vérités arithmétiques

Comme expliqué en 1.C, le concept de prouvabilité dans toute théorie explicite du premier ordre, et plus généralement tout concept de «prouvabilité» (prédicat) effectif sur la classe des énoncés de toute théorie concevable, doit être un prédicat FOT-existentiel, équivalent (via un certain codage) avec un prédicat existentiel de l'arithmétique. Mais il faut se référer au concept de vérité réaliste de l'arithmétique pour les interpréter. C'est un concept idéal mais clair (indépendant de toute hypothèse ontologique sur les infinis), désignant la classe des propriétés du «modèle standard ℕ de l'arithmétique» («le vrai ensemble ℕ de tous, et seulement tous, les entiers vraiment finis»; en bref, comme tous les modèles standards de l'arithmétique sont des copies identiques les uns des autres).
En effet, tous les objets standard d'un FOT étant finis peuvent être acceptés comme réels (quelle que soit leur taille), tandis que leur distinction avec les objets non-standard (pseudo-finis) est également réelle bien que non formalisable.
La signification des énoncés peut se comprendre d'abord pour les formules bornées, puis celles avec 1 quantificateur ouvert, comme les énoncés de prouvabilité ou de cohérence, dont les objets sont de simples systèmes finis (preuves). Et ainsi de suite pour chaque quantificateur ouvert supplémentaire sur une formule précédemment acceptée, même si leur signification devient de plus en plus subtile.

Or, le théorème d'incomplétude a montré que ce prédicat de vérité réaliste de l'arithmétique n'est pas lui-même un prédicat existentiel. Plus précisément, même la négation du prédicat de prouvabilité de toute théorie explicite capable d'exprimer l'arithmétique, ne peut être elle-même un prédicat existentiel.

Mais nous avons encore besoin de solutions partielles: des classes existentielles d'énoncés d'arithmétique avec les deux qualités:

La manière naturelle de progresser dans la recherche, illimitée et non-algorithmique, de telles classes de plus en plus larges tout en restant FOT-correctes, consiste à rechercher des théories des ensembles axiomatiques de plus en plus fortes. Commentons cela plus avant.

Autres concepts de force

Toute théorie axiomatique des ensembles (ou autre théorie fondamentale) T est reflétée par 2 classes d'énoncés arithmétiques:
  1. La classe de ses théorèmes d'arithmétique;
  2. L'énoncé de sa cohérence.
Les deux ne doivent pas être confondues: Cela mène à deux autres conceptions (définitions) d'un préordre de "force" entre théories fondatrices, généralement équivalentes à notre définition de 1.A (les possibles cas de non-équivalence ne seront pas considérés ici):
  1. L'ordre d'inclusion entre leurs classes de théorèmes d'arithmétique ;
  2. La déductibilité (implication prouvable) entre les énoncés de cohérence: T' est plus forte que T si la cohérence de T est déductible de la cohérence de T'; alors T' est dit strictement plus fort que T si la cohérence de T est un théorème de T'.
(1. serait lié à l'ordre d'implication entre énoncés de FOT-correction, sauf que l'expression de tels énoncés nécessite un cadre assez fort pour exprimer la vérité arithmétique, tel que MT).

Si T' peut prouver l'existence d'un modèle standard de T alors T' est strictement plus fort que T dans les deux sens.

La théorie des ensembles du réalisme à l'axiomatisation

Pour qu'une théorie axiomatique des ensembles donne une classe de théorèmes arithmétiques à la fois FOT-correcte et large, elle doit être "correcte et pourtant très bonne": Parmi les théories des ensembles correctes et explicites (ou d'autres théories fondatrices), il ne peut y en avoir une plus forte que toutes: de l'une quelconque T, on peut obtenir de plus fortes, au moins arithmétiquement, par les manières suivantes, grossièrement ordonnées par puissance croissante (où T0 est théorie possiblement plus faible mais qui satisfait la qualité «ouverte» ci-dessous): Et ce ne sont que les premiers d'une liste ouverte de méthodes possibles d'efficacité croissante pour leur effet de renforcement par rapport à la complexification de description. Il s'avère en fait que le schéma de remplacement, utilisé dans la théorie des ensembles ZF, revient à utiliser une méthode de renforcement beaucoup plus puissante que celles-ci.

Les arguments pour justifier toute version ainsi forte de la théorie des ensembles comme fondement valide des mathématiques doivent rester quelque peu philosophiques et donc évalués de manière intuitive, non complètement formalisable, précisément pour faire mieux que toute preuve formelle ou autre algorithme prédéfini : aucune méthode formelle fixe ne peut toujours vérifier pour une théorie forte quand elle est cohérente, encore moins quand elle est FOT-corrente (par indéfinissabilité de la vérité), ou correcte (l'idée que certains axiomes qui excluent une certaine taille d'univers standard en acceptent encore de plus grands).

L'utilité de théories axiomatiques des ensembles fortes pour prouver de larges classes de vérités arithmétiques (dans la mesure où les disputes philosophiques sur le statut ontologique des idéaux motivant ces théories ne mettent pas en cause le rôle de ces idéaux comme raisons de croire ces théories FOT-correctes), peut alors être lu comme un argument d'indispensabilité pour la réalité des univers ainsi décrits, au-delà de l'infini de ℕ.
En effet, elle «donne de l'importance» à ces théories, tandis que leur cohérence avec la simple existence de ℕ, assure l'existence de modèles. Seuls des modèles non standard sont ainsi assurés d'exister, mais leur fonctionnement est de toute façon pratiquement semblable à celui des modèles standard qui étaient idéalement visés. D'où notre dernier concept de vérité, qui est la vérité des énoncés de théorie des ensembles.

Condition de compatibilité des axiomes

Étant donné plusieurs théories axiomatiques des ensembles avec les deux qualités (correcte et forte), considérons la théorie obtenue comme leur union (l'union de leurs classes d'axiomes si elles ont les mêmes symboles, par exemple si toutes n'utilisent que ∈, comme ZF). Elle sera plus forte que chacun, mais est-elle encore correcte ? Qualifions une collection de théories des ensembles (ou leurs axiomes) de compatibles si leur union (conjonction) reste correcte.
Ainsi, au-delà de la correction et de la force des théories axiomatiques des ensembles, une exigence de qualité supplémentaire pour leurs axiomes est nécessaire pour que, sans limiter la force des théories des ensembles correctes qui peuvent être ainsi écrites, toutes ces théories soient compatibles. En fait, ce problème a une solution naturelle. Cette qualité supplémentaire qui convient est un autre concept idéal, non complètement formalisable, alors exprimons-le d'abord intuitivement : Ceci vise à être plus spécifique que le simple "l'éternité est un temps très long" qui reformule la qualité "grand" pour les univers, et comme approfondissant notre précédent concept d'ouverture. Expliquons-le en plusieurs étapes.

D'abord, aucun axiome ne doit limiter la taille de l'univers, pour compatibilité avec des théories plus fortes que cette taille (par exemple, une théorie correcte T n'acceptant qu'un seul univers standard serait incompatible avec l'énoncé d'existence d'un univers standard de T).

Ensuite, le risque restant pour plusieurs énoncés d'être incompatibles, est si les valeurs d'au moins 2 d'entre eux varient indéfiniment (alternant vérité et fausseté) lorsque l'univers s'étend, de sorte qu'aucun univers standard "au-delà d'une certaine taille" ne puisse tous les satisfaire (leur conjonction limiterait la taille de l'univers). Ceci est résolu en n'acceptant que les axiomes «ouverts», qui s'accorderont tous sur des univers standard «ouverts». Expliquons comment.

Considérons un tel énoncé variable: écrit sous forme prénexe, il doit utiliser les deux types de quantificateurs ouverts. Analysons le cas des énoncés avec seulement 2 quantificateurs ouverts: ∃x, ∀y, A(x,y), parmi lesquels les énoncés S(C) selon lesquels une classe est un ensemble. (De là, le cas ∀x, ∃y se déduit par négation, tandis que les cas d'un plus grand nombre de quantificateurs ouverts seraient plus délicats et ne seront pas discutés ici). Pour tout multivers standard où il varie indéfiniment ainsi, un tel énoncé s'avère être faux dans son union. Donc, prendre un tel énoncé comme un axiome serait inapproprié pour ce multivers. Or, ce qui compte vraiment, c'est le comportement de la classe de tous les univers standard (il n'y a pas de moyen systématique de le déterminer, mais c'est notre idéal visé). Alors, la qualité d'ouverture d'un énoncé est celle de refléter la vérité dans l'union d'un multivers qui se comporte comme la classe voulue de tous les univers standard.

De tels univers "ouverts", ayant les mêmes propriétés que l'union d'un multivers standard ressemblant à la classe de "tous les univers standard", peuvent être intuitivement décrits comme "beaucoup plus grands que tout univers plus petit": il ne doit y avoir aucune limite à mesure dont l'univers peut être plus grand que n'importe quel sous-univers (décrit par une théorie plus faible). Cela évite également l'inefficacité qui pourrait survenir dans le cas contraire, d'un système axiomatique significativement plus complexe mais seulement un peu plus fort qu'un autre.

La quête de théories axiomatiques des ensembles approchant les 3 qualités idéalement conçues (forte et ouverte mais encore correcte) pour sélectionner des univers avec les 3 qualités correspondantes (grand et ouvert mais existant encore parmi ceux standards), est sans fin. Heureusement, des théories assez simples telles que ZF satisfont déjà ces qualités à un degré élevé, décrivant des réalités bien plus vastes que ce qui est habituellement utile. C'est ainsi qu'une vision platonicienne de la théorie des ensembles (voyant l'univers de tous les objets mathématiques comme une réalité fixe et exhaustive) peut fonctionner comme une bonne approximation, bien qu'elle ne puisse pas être un fait exact et absolu.

Cadres logiques alternatifs

La description faite ici des fondements des mathématiques (logique du premier ordre et théorie des ensembles), n'est essentiellement qu'une expression clarifiée équivalente de celles largement acceptées (une introduction différente aux mêmes mathématiques). D'autres cadres logiques déjà mentionnés, à développer ultérieurement, restent dans la «même famille» des «mathématiques classiques». Mais d'autres cadres plus radicalement différents (concepts de logique et/ou d'ensembles), appelés logiques non classiques, pourraient être envisagés. Exemples: Nous ignorerons de telles alternatives dans le reste de ce travail.

Théorie des ensembles et fondements des mathématiques
1. Premiers fondements des mathématiques
2. Théorie des ensembles
2.1. Premiers axiomes de théorie des ensembles
2.2. Principe de génération des ensembles
2.3. Curryfication et uplets
2.4. Quantificateurs d'unicité
2.5. Familles, opérateurs booléens sur les ensembles
2.6. Graphes
2.7. Produits et ensembles des parties
2.8. Injections, bijections
2.9. Propriétés des relations binaires
2.10. Axiome du choix
2.A. Temps en théorie des ensembles
2.B. Interprétation des classes
2.C. Concepts de vérité en mathématiques
3. Algebra - 4. Arithmetic - 5. Second-order foundations
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EN : 1. First foundations of mathematics : Concepts of truth in mathematics