1.B. Indéfinissabilité de la vérité

Poursuivant notre introduction à la vue d'ensemble des fondements des mathématiques, esquissons un aspect particulier de l'ordre temporel des interprétations: l'incapacité des théories auto-descriptives à définir (prédire) les valeurs de leurs propres énoncés. Cela confirmera le rôle de la hiérarchie des forces des théories et sera une étape clé dans la preuve de l'incomplétude de l'arithmétique (et donc de la logique du second ordre).

Objets standard et citations

Les objets dans les modèles standard d'une FOT seront eux-mêmes appelés standard, ce qui intuitivement signifie "vraiment fini". Ils peuvent en principe être mathématiquement cités: pour chaque objet x, on peut former un terme clos, ici abrégé par la notation ⌜x⌝, et qui désigne x dans le modèle standard. Ainsi, le modèle standard de l'arithmétique ℕ est composé de nombres standard, valeurs n de citations ⌜n⌝ du style 1+...+1 (les détails effectifs seront étudiés dans la partie 4).
Les références à la vérité des énoncés et à la signification des classes des FOT seront implicitement entendues comme leurs interprétations standard, sauf indication contraire.

Les modèles non standard peuvent être compris comme des extensions du modèle standard: ils contiennent aussi tous les objets standard, copies des objets du modèle standard, définis comme valeurs de leurs citations mathématiques; mais diffèrent en ayant d'autres objets au-delà, appelés objets non standard (non citables). Les nombres non standard seront également appelés pseudo-finis: vus par la théorie comme «finis» mais avec le schéma de propriétés d'être «absolument indescriptiblement grands»: supérieurs à tout nombre standard, donc en fait infinis.
Dans les expressions d'énoncés ou de classes de théories fondatrices, il n'y a généralement aucune différence à permettre des paramètres de valeur finie (= dont le type appartient à une partie FOT de la théorie) dans la mesure où ils sont plus précisément destinés à ne prendre que des valeurs standard, et peuvent donc être remplacés par leurs citations.

Dans un modèle non standard de FST, les ensembles standard sont les ensembles vraiment finis d'éléments tous standard. Mais cela ne définit pas la standardité, qu'on ne peut pas non plus définir par les citations (qui sont une infinité de méta-objets). Comme il sera clair dans la partie 4, le schéma d'axiomes rend la standardité indéfinissable par toute formule de FOT: le méta-ensemble des objets standard dans un modèle non standard n'est pas une classe, et donc (pour FST) pas un ensemble.

Théorèmes d'indéfinissabilité de la vérité

Toute théorie descriptible T plus forte que TT (= capable d'exprimer TT) peut également se décrire elles-même: les définitions des τ, L, X composant T forment le développement à partir de TT (et donc de T) de la version de 1TT décrivant T. Mais cela ne sera pleinement utilisé que pour les théorèmes d'incomplétude (1.C). D'abord, l'indéfinissabilité de la vérité utilisera TT (avec des notions générales d'expressions) mais pas X (distinction des axiomes parmi les énoncés; les τ et L habituels étant finis sont sans problème).
(Une version de 1TT avec τ, L ou X non défini, n'étant pas un développement de TT proprement dit, son fonctionnement nécessiterait d'ajouter l'utilisation de τ, L, X dans le schéma d'axiomes : d'induction pour Z1, ou de compréhension pour FST ...).

Soit S la méta-classe des énoncés de T, et S la classe définie dans 1TT et donc dans T pour jouer le rôle de S dans tout modèle M de T. Pour tout énoncé FS, sa citation ⌜F⌝ désigne dans M l'élément de S jouant le rôle de cet énoncé : 1TT⊢ (⌜F⌝∈S).

Soit S1 la méta-classe des formules de T avec une seule variable libre (de domaine S mais ce détail peut être ignoré), visant à définir des prédicats invariants de domaine S. Alors aucun d'eux ne peut coïncider avec la véracité des énoncés dans le même modèle:

Théorème d'indéfinissabilité de la vérité (version faible). Pour tout modèle M de T, la méta-classe {AS | MA} des énoncés vrais dans M, diffère de toute classe invariante, dans M, d'objets "énoncés":

CS1, ∀MT, ∃AS, M⊨ (AC(⌜A⌝))

Théorème d'indéfinissabilité de la vérité (version forte).CS1, ∃AS, T ⊢ (AC(⌜A⌝)).

La tradition se concentre sur la démonstration de la version forte (détails en partie 5): la preuve utilisant le paradoxe du menteur fournit un A explicite, défini comme ¬C(⌜A⌝) où la citation ⌜A⌝ est obtenue par une technique d'auto-référence explicite (finitiste) mais complexe. Elle donne donc l'information "pure" d'un "inconnu connu": l'échec nécessaire de C à interpréter un A explicite "simplement" fait de ¬C appliqué à un terme clos complexe.

Mais la version faible peut être prouvée d'une autre manière, par le paradoxe de Berry (les détails impliquant des subtilités dans les fondements de l'arithmétique ont été déplacés vers la partie 4): à partir d'une définition de la vérité des énoncés, on peut définir le prédicat entre formules et nombres disant quelle formule définit quel nombre, et donc définit un nombre du style "le plus petit nombre non définissable en moins de vingt mots" qui conduirait à la contradiction.
Cette preuve est à la fois plus intuitive (évitant les difficultés d'auto-référence) et fournit une information différente: elle montre l'omniprésence de «l'inconnu inconnu» donnant un ensemble fini d'énoncés A qui sont «moins purs» en leur genre mais moins complexes en taille, parmi lesquelles une "erreur" doit exister, sans préciser où (cela dépend du nombre qui serait ainsi "défini").

La hiérarchie des formules

Les faits d'indéfinissabilité de la vérité, d'indécidabilité ou autre indétermination des formules peuvent être compris en analysant leur syntaxe, comme provenant principalement de leur utilisation de symboles liants: les formules les mieux définies sont celles sans symboles liants; puis, intuitivement, la clarté de sens d'un symbole liant donné tient à la mesure dont son domaine peut être qualifié d'ensemble. Dans les théories des ensembles, les quantificateurs ouverts (de domaine l'univers ou une classe) sont moins clairs que les quantificateurs bornés et autres symboles liants de domaine un ensemble.

Pour FST, la condition essentielle pour qu'une classe soit un ensemble est la finitude. De même en arithmétique, les quantificateurs peuvent être bornés en utilisant l'ordre: (∃x<k, ) et (∀x<k, ) abrègent respectivement (∃x, x<k ∧ ) et (∀x, x<k ⇒ ) et de même pour ≤.
Les valeurs des énoncés bornés des FOT sont indépendants du modèle car leur interprétation n'utilise que des objets standard. Tout objet standard d'un FOT a toutes les mêmes propriétés bornées (= exprimées par des formules bornées sans autre variable libre) dans tout modèle.

Versions raffinées

Les preuves des théorèmes d'indéfinissabilité de la vérité, donnant explicitement un A sur lequel chaque C diffère de la vérité, prouvent plus que leurs simples conclusions: elles précisent en quelque sorte l'étendue de cette différence. A savoir : Cette dernière équivalence s'obtient en développant certains quantificateurs FOT-bornés, donc de domaines finis ; sa preuve n'utilise que des axiomes de TT, bien que C puisse utiliser un langage plus large. Donc si C est admissible sur toute la classe des énoncés de T, est constant entre les énoncés TT-prouvablement équivalents, et opère fidèlement les connecteurs sur les instances de C, alors C diffère de la vérité sur certains C(⌜B⌝) :

BS, C(⌜B⌝) ⇎ C(⌜C(⌜B⌝)⌝)

Pour chaque cas (faible ou fort), en un certain sens, A n'a pas besoin de plus de quantificateur de chaque sorte que C. Donc, tout C borné diffère de la vérité sur certains A bornés. Dans les FOT une telle différence est assez grave, mais pas surprenante faute de candidats C bornés approchant la vérité à considérer.

Prédicats de vérité

Appelons prédicat de vérité d'une théorie T décrite par une autre théorie T', tout prédicat C (défini par T' avec de possibles paramètres) sur la classe S d'énoncés de T, de sorte que
  1. AX, C(A) : il contient tous les axiomes de T
  2. AS, C(A)∨CA)
  3. C est cohérent.
De manière équivalente, 2. et 3. peuvent être remplacés par
  1. AS, C(A) ⇎ CA)
  2. C contient toutes les conséquences logiques des conjonctions de ses éléments.
L'existence d'un prédicat de vérité de T implique évidemment sa cohérence. Mais la réciproque est également TT-prouvable, ce qui rend ces équivalents:
Si T est cohérent alors il permet de (TT-prouvablement) TT-définir un prédicat de vérité de T ainsi:
  1. Prendre tous les énoncés dans un ordre arbitraire;
  2. Ajouter chacun aux axiomes s'il est cohérent avec les axiomes précédemment acceptés.
Une telle définition n'est pas algorithmique (la condition "si cohérent" est invérifiable en temps fini), mais n'utilise aucun autre paramètre que T et un ordre sur son langage.

Propriétés des modèles

Les propriétés (du premier ordre) d'un modèle M de T, sont les énoncés de T vrais dans M.
La classe des propriétés de tout modèle de T est un prédicat de vérité de T. Mais cela n'a pas toujours de sens à cause de l'indéfinissabilité de la vérité : TT manque de définitions générales pour les classes de propriétés des systèmes infinis avec des nombres illimités de quantificateurs. Leur signification systématique ne vient que dans des cadres strictement plus forts tels que MT, pouvant tenir comme ensembles certaines classes infinies (telles que les classes d'objets finis) servant de types (classes d'objets) dans M.

Le théorème de complétude, simplement exprimé dans des théories des ensembles avec Infini, apparaît aussi dans TT comme un schéma de théorèmes qui, pour toute définition d'une théorie cohérente, conçoit un modèle comme une classe d'objets avec des structures définies par TT. La construction simple de notre preuve en 4.7 garantit la vérité des axiomes mais ignore les autres énoncés. En suivant cette construction, tous les énoncés s'interprètent comme cas particuliers d'énoncés TT (de paramètres τ, L, X composant T, à remplacer par leurs définitions). Le prédicat de vérité ainsi obtenu sur cette classe peut ne pas être invariant TT, mais est de toute façon invariant MT du moment que T l'était (car MT peut définir la vérité sur la classe des énoncés TT).

Mais l'application du théorème de complétude à un prédicat de vérité donné (qui peut être défini par TT), prouve dans TT l'existence d'un modèle dont les propriétés lui sont conformes, bien que ses notions interprétées ne soient pas des ensembles. Cela présente en 2 étapes comment construire un modèle avec des propriétés invariantes TT, mais le même objectif est également atteint par la construction unique mais plus difficile de la preuve traditionnelle (par Henkin) du théorème de complétude.

Théorie des ensembles et fondements des mathématiques
1. Premiers fondements des mathématiques
1.1. Introduction au fondement des mathématiques
1.2. Variables, ensembles, fonctions et opérations
1.3. Forme des théories
1.4. Structures mathématiques
1.5. Expressions et structures définissables
1.6. Connecteurs
1.7. Classes en théorie des ensembles
1.8. Symboles liants
1.9. Axiomes et preuves
1.10. Quantificateurs
1.11. Quantificateurs du 2e ordre
Aspects philosophiques
1.A. Temps en théorie des modèles
1.B. Indéfinissabilité de la vérité
1.C. Théorèmes d'incomplétude
1.D. Le cadre ensembliste unifié
2. Théorie des ensembles - 3. Algèbre

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EN : 1. First foundations of mathematics : 1.B. Truth undefinability