1.2. Variables, ensembles, fonctions et opérations

Un démarrage des mathématiques consiste à introduire quelques concepts simples du cycle fondateur, pouvant sembler auto-suffisants autant que possible (alors qu'ils ne peuvent pas l'être absolument). Une solution habituelle et naturelle est de démarrer par une théorie des ensembles non totalement formalisée comme théorie axiomatique. Ce sera fait brièvement en 1.2, expliquant intuitivement les concepts d'ensemble et de fonction. Puis 1.3 commencera à introduire lathéorie des modèles, par laquelle toute théorie dont la théorie des ensembles est formalisable, et les principales subtilités (paradoxes) dans la vision résultante des fondements des mathématiques seront expliquées ultérieurement.

Constantes

Un symbole de constante est un symbole désignant un objet précis, appelé sa valeur. Exemples: 3, Ø, ℕ. Ceux du langage courant se présentent habituellement comme noms propres et noms avec un article défini singulier («le», «la») sans complément.

Variables libres et liées

Un symbole de variable (ou une variable) est un symbole qui, au lieu d'avoir une valeur donnée a priori, vient avec le concept de valeurs possibles, ou d'interprétations possibles dont chacune lui donne une valeur particulière. Chaque possibilité lui donne un rôle de constante. Ces possibilités peuvent être en nombre quelconque, y compris une infinité, une seule ou même aucune.
On peut l'imaginer comme délimité par une boite dont l'intérieur a plusieurs versions en parallèle, articulant les différents points de vue à son sujet: Plus précisément par rapport à des théories données, fixer une variable signifie prendre une variable libre dans une théorie et ignorer plus longuement sa variabilité, simulant ainsi l'utilisation de l'autre théorie obtenue en acceptant ce symbole comme une constante.
Les divers «points de vue internes», correspondant à chaque valeur possible vue comme fixe, peuvent être considérés comme des «lieux» abstraits dans l'univers mathématique, tandis que la succession de points de vue sur un symbole (le qualifiant comme constante, variable libre ou variable liée), peut être vue comme une première expression de l'écoulement du temps en mathématiques: une variable est liée lorsque tous les «lieux parallèles de l'intérieur de la boite» (valeurs possibles) sont passés. Tous ces lieux et temps sont eux-mêmes des entités purement abstraites et mathématiques.

Domaines et ensembles

On appelle domaine d'une variable, sa signification vue comme liée: c'est la «connaissance» de la totalité considérée de ses valeurs possibles ou autorisées (vues en vrac: sans ordre ni égard à leur contexte) appelées les élements de ce domaine. Cette «connaissance» est une entité abstraite éventuellement capable (suivant le contexte) de traiter (englober) des infinités d'objets (contrairement à l'esprit humain). Tout domaine d'une variable est appelé un ensemble.
Une variable admet un domaine lorsqu'elle peut être liée: lorsqu'un point de vue englobant toutes ses valeurs possibles est donné. Les variables de la théorie des ensembles n'auront pas toutes un domaine. Une variable sans domaine peut toujours être libre, ce qui n’est plus un statut intermédiaire entre fixe et liée, mais signifie qu’elle peut prendre certaines valeurs ou d’autres valeurs sans prétention d’exhaustivité.

Cantor définissait un ensemble comme «un groupement en un tout d'objets bien distincts de notre intuition ou de notre pensée». «Si la totalité des éléments d'une multiplicité peut être pensée comme «existant simultanément», de telle sorte qu'il soit possible de la concevoir comme un «seul objet» (ou un «objet achevé»), je la nomme une multiplicité consistante ou un «ensemble».» (Nous venons d'exprimer cette «multiplicité» comme celle des valeurs d'une variable).
Il décrivit le cas contraire comme celui d'une «multiplicité inconsistante» où «l'admission d'une coexistence de tous ses éléments mène à une contradiction». Mais la non-contradiction ne peut pas suffire comme définition générale des ensembles: la non-contradiction d'un énoncé n'implique pas sa véracité (l'énoncé contraire peut être vrai mais indémontrable); les faits de non-contradiction sont souvent eux-mêmes indémontrables (théorème d'incomplétude), et deux coexistences séparément consistantes pourraient se contredire (paradoxe de l'omnipotence).

On dit qu'une variable parcourt un ensemble, lorsqu'elle est liée de domaine cet ensemble. On peut introduire à volonté des variables parcourant tout ensemble donné, indépendantes entre elles et des autres variables en présence.
Le renommage systématique d'une variable liée dans tout l'intérieur de sa boite, en un autre symbole inutilisé dans le même contexte (la même boite), de même domaine, ne change pas la signification du tout. En pratique, une même lettre peut représenter plusieurs variables liées séparées (dont les boites sont séparées), qui peuvent prendre des valeurs différentes sans incohérence : il ne s'en trouve nulle part deux libres à la fois où l'on puisse en comparer les valeurs. Le langage courant le fait sans cesse, ne disposant que de fort peu de symboles de variables («il», «elle», ...).

Fonctions

Une fonction est un objet f constitué des données suivantes: Ainsi f est une entité se comportant comme variable dont la valeur est déterminée par celle d'une autre variable appelée son argument de domaine Dom f. Dès que cet argument est fixé (reçoit un nom, ici "x", et une valeur dans Dom f), f devient fixe, notée f(x). Cela revient en fait à concevoir une variable f dont les "vues possibles" comme fixe, sont traitées comme des objets x conceptuellement distincts de la valeur résultante de f. Comme nous le verrons plus tard, une telle entité (variable dépendante) f ne serait pas (traitable comme) un objet de la théorie des ensembles si son argument n'avait pas de domaine, autrement dit ne pouvait pas être lié. (Ce ne serait qu'un méta-objet, ou objet de la théorie des modèles, qu'on appellera un foncteur en 1.4)

Opérations

La notion d'opération généralise celle de fonction, par l'admission d'une liste finie d'arguments (variables de domaines respectifs donnés) au lieu d'un seul. Une opération donne donc un résultat (une valeur) quand tous ses arguments sont fixés. Le nombre n des arguments d'une opération est appelé son arité ; l'opération est dite n-aire. Elle est dite unaire si n=1 (c'est une fonction), binaire si n=2, ternaire si n=3...
Le concept d'opération nullaire (n=0) est superflu, car leur rôle est déjà joué par leur unique valeur; on verra en 2.1 comment construire les opérations d'arité > 1 au moyen des fonctions.

Comme pour les fonctions, les arguments des opérations sont à la base désignés non par des symboles mais par des espaces autour du symbole d'opération, à remplir par toute expression leur donnant les valeurs voulues. Diverses conventions d'écriture peuvent être utilisées (1.5). Notamment, en utilisant les espaces à gauche et à droite dans la parenthèse après le symbole f, on note f(x,y) la valeur d'une opération binaire f en ses arguments fixés x et y (sa valeur lorsque ses arguments reçoivent les valeurs fixes de x et y).

Un urelement (élément pur) est un objet ne jouant aucun autre rôle que celui d'élément: ce n'est ni un ensemble, ni une fonction, ni une opération.

Théorie des ensembles et fondements des mathématiques
1. Premiers fondements des mathématiques
1.1. Introduction aux fondements des mathématiques
1.2. Variables, ensembles, fonctions et opérations
1.3. Forme des théories: notions, objets, méta-objets
1.4. Structures mathématiques
1.5. Expressions et structures définissables
1.6. Connecteurs logiques
1.7. Classes en théorie des ensembles
1.8. Symboles liants
1.9. Axiomes et preuves
1.10. Quantificateurs
1.11. Quantificateurs du 2e ordre
Aspects philosophiques
1.A. Temps en théorie des modèles
1.B. Indéfinissabilité de la vérité
1.C. Théorèmes d'incomplétude
1.D. Le cadre ensembliste unifié
2. Théorie des ensembles - 3. Algèbre
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EN : 1. First foundations of mathematics : 1.2. Variables, sets, functions and operations