Aspects philosophiques des fondements des mathématiques

Complétons notre initiation aux fondements des mathématiques, par des aspects plus philosophiques: comment, indépendamment de notre temps, la réalité mathématique est sujette à un flux de son propre temps. Ces compléments ne sont pas nécessaires pour continuer avec la partie 2 (2.1 à 2.10 sauf petites remarques en 2.2, 2.7 et 2.10), partie 3 et plus, tandis que 2.A-2.C requiert à la fois la partie 1 jusqu'à 1.D et la partie 2 jusqu'à 2.7.

1.A. Temps en théorie des modèles

L'ordre temporel de l'interprétation des expressions

Les interprétations des expressions d'une théorie T dans un modèle M dépendent les unes des autres, donc viennent comme calculées les unes après les autres. Cet ordre temporel suit l'ordre de construction des sous-expressions vers les expressions qui les contiennent.
Par exemple, pour donner un sens à la formule xy + x = 3, les variables libres x et y doivent prendre une valeur en premier. Puis, xy prend une valeur, obtenue en les multipliant. De là, xy+x prend une valeur, puis la formule entière (xy+x=3) prend une valeur booléenne dépendant des valeurs de x et y. Enfin, en prenant par exemple la formule close ∀x, ∃y, xy+x=3, sa valeur booléenne (qui est faux dans le monde des nombres réels), «est calculée à partir de» celles prises par la formule précédente pour toutes les valeurs possibles de x and y, et vient donc après elles.

Les interprétations d'une liste finie d'expressions peuvent être rassemblées par une seule autre expression, les prenant comme sous-expressions. Cette grande expression est interprétée après elles toutes, mais appartient toujours à la même théorie.
Mais pour qu'une même expression invoque un ensemble infini d'expressions (tel que l'ensemble de toutes les expressions de T, ou seulement tous les termes ou tous les énoncés), ces expressions doivent être traitées comme objets (valeurs d'une variable). Si T est une théorie fondatrice, elle peut définir (ou construire) un système ressemblant à ceci, de sorte que, dans tout modèle standard de T (en un sens qui sera précisé plus loin), cette définition désignera une copie exacte de cet ensemble d'expressions.

Cependant, l'interprétation systématique de toutes les expressions de T dans M ne peut correspondre à aucune définition par une seule expression de T interprétée dans le même M. À savoir, cela fait partie du système combiné [T,M] au-delà de M, décrit par une théorie du modèle (1MT) qui, même si elle peut être développée à partir de T, nécessite de toute façon une autre interprétation, à un niveau méta au-dessus de M.

Le temps infini entre les modèles

Sans chercher à formaliser la théorie du modèle MT de la logique du premier ordre (qui sera abordée dans les prochaines sections), esquissons une classification de ses composants (mélangeant notions, structures et axiomes) en parties selon ce qu'elles décrivent. La plupart des questions sont inchangées en restreignant la considération à un 1MT, de modèle un seul système [T,M] fait d'une théorie T avec un modèle M, lorsque ces T et M (spécifiés par des axiomes supplémentaires de 1MT) sont assez grands pour essentiellement contenir toute théorie et tout système. Mais certains questions peuvent même rester inchangées avec des choix plus simples de T et M. La dernière partie de [T,M] est une construction mathématique déterminée par la combinaison des deux systèmes T et M, mais n'est pas directement contenue dans ces données: elle est construit après.

La métaphore du temps usuel

Je peux parler de «ce que dont j'ai parlé à tel instant»: cela a bien un sens si ce propos passé en avait un, car j'en avais saisi le sens et je m'en souviens. Mais parler de «ce dont je parle» tout court, n'informerait pas sur ce dont il s'agit: cela pourrait être n'importe quoi, et devient absurde dans une phrase qui modifie ou contredit ce sens («le contraire de ce que je dis»). Parler de «ce dont je parlerai demain», même en sachant déjà ce que je dirai, ne suffirait pas non plus à en donner déjà le sens: au cas où je parlerai de «ce dont j'ai parlé hier» (donc maintenant) cela ferait un cercle vicieux; mais même si la forme de mon futur propos assurait que son sens existera demain, cela ne le donnerait pas encore aujourd'hui. Quelles que soient mes spéculations, le sens réel des expressions qui seront prononcées ne surviendra qu'en leur temps, dans le contexte à venir.
Faute d'intérêt à décrire des expressions sans leur signification, autant restreindre l'étude aux propos passés, se contenter de "vivre" les propos présents et ignorer ceux à venir. Ainsi, mon actuel univers du passé que je peux décrire aujourd'hui, inclut celui d'hier, mais aussi mes propos d'hier sur celui-ci et leur signification. Je peux donc décrire aujourd'hui des choses extérieures à l'univers que je pouvais décrire hier. Or, depuis hier, je n'ai pas appris à parler le Martien ni n'ai acquis une nouvelle intelligence transcendantale; mais le même langage s'applique à un univers plus vaste, enrichi de nouveaux objets. Ces nouveaux objets étant de mêmes types que les précédents, mon univers d'aujourd'hui peut ressembler à celui d'hier; mais d'un univers à l'autre, les mêmes expressions peuvent prendre des sens différents.

Comme des historiens, chaque théorie mathématique ne peut «à chaque instant donné» que décrire un système d'objets mathématiques passés. Son interprétation dans ce système, «se produit» formant un présent mathématique hors de ce domaine (au-delà de ce passé).
Puis décrire cet acte d'interprétation, c'est étendre la portée de nos descriptions: le modèle [T,M] de 1MT, englobant les interprétations de toutes les expressions de T dans le présent système M des objets passés, est le prochain domaine du passé, venant lorsque la totalité infinie des interprétations actuelles (dans M) des expressions de T devient passée.

La hiérarchie de force des théories

Ces modèles successifs, séparés par des temps infinis, forment une succession illimitée, reflétée par une une hiérarchie illimitée de théories qui les décrivent respectivement. Cette hiérarchie sera évoquée en termes d'une comparaison de force entre les théories (ce qui forme un préordre). A savoir, une théorie A est dite plus forte qu'une théorie B si (une copie de) B peut être trouvée contenue dans A ou un développement possible de A; elles sont de même force si cela vaut aussi vice-versa. En effet, les développements ne sont que des "mouvements finis" négligés par le concept de force qui vise à ne retenir que les "mouvements infinis". (Une autre définition de l'ordre de force, souvent mais peut-être pas toujours équivalente, viendra en 1.C).

De nombreuses forces seront représentées par des versions de la théorie des ensembles, nous permettant ainsi d'appeler des «univers» ces modèles successifs. Ainsi, toute théorie des ensembles visant à décrire un univers de «tous les objets mathématiques», ce n'est à chaque instant que le «tout» actuel, fait de notre passé; tandis que cette description elle-même forme autre chose au-delà de ce «tout».

Axiomes renforçants de la théorie des ensembles

Alors que notre étude se concentrera sur les théories des ensembles acceptant d'autres notions que les ensembles (comme annoncé en 1.4), la différence avec les théories des ensembles traditionnelles (dont les seuls objets sont des ensembles) peut être ignorée, car toute bonne théorie des ensembles formalisée à notre manière est de même force qu'une avec seulement des ensembles, et de même vice versa.
Nos théories des ensembles, au-delà de leur liste commune de symboles et d'axiomes de base "nécessaires" (2.1 et 2.2), différeront principalement par leur force, selon leurs choix d'axiomes renforçants optionnels (parfois accompagnés de symboles primitifs), dont le rôle sera encore commenté en 1.D et 2.C. Les principaux axiomes renforçants sont:

Les principales théories fondatrices

En introduction simplifiée, voici quelques-unes des principales théories fondatrices (toutes des théories du premier ordre, même "l'arithmétique du second ordre"), ordonnées par force croissante (tandis que des infinités d'autres forces existent également entre elles et au-delà). La partie la plus difficile de la preuve de Gödel de ses fameux théorèmes d'incomplétude était de développer TT à partir de Z1, de sorte que les résultats d'incomplétude initialement prouvés pour TT affectent également Z1. Cette difficulté peut être ignorée en se concentrant sur TT et FST, en ignorant Z1. Développer TT à partir de FST est facile (une fois que TT est formalisé), mais les développer à partir de Z1 est plus difficile. Une solution est de développer la version "ensembles seuls" de FST à partir de Z1 en définissant le prédicat BIT (en guise de ∈) et en prouvant ses propriétés de base; la difficulté de le faire peut être évitée en les acceptant comme primitifs.

Théorie des ensembles et fondements des mathématiques
1. Premiers fondements des mathématiques
1.1. Introduction au fondement des mathématiques
1.2. Variables, ensembles, fonctions et opérations
1.3. Forme des théories
1.4. Structures mathématiques
1.5. Expressions et structures définissables
1.6. Connecteurs
1.7. Classes en théorie des ensembles
1.8. Symboles liants
1.9. Axiomes et preuves
1.10. Quantificateurs
1.11. Quantificateurs du 2e ordre
Aspects philosophiques
1.A. Temps en théorie des modèles
1.B. Indéfinissabilité de la vérité
1.C. Théorèmes d'incomplétude
1.D. Le cadre ensembliste unifié
2. Théorie des ensembles - 3. Algèbre

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EN : 1. First foundations of mathematics : Time in model theory